BLACK & DECKER

Le titre : Whip It on / Chain Gang Of Love

L’artiste : The Raveonettes

Le format : 33T/30 cm

La date de sortie : 2022

Le genre :  Grondement électrique

C’est qui ?:  Des Danois

Qui joue dessus ?: Sune Rose Wagner et Sharin Foo

Comment ca sonne ? : Comme un grille pain qui déconne

Qualité du pressage :

Excellente.

Crunchy Frog / Sony Music – Réedition EU de 2022.

Ce qu’on en pense :

Certains musiciens sont obsédés par le son de guitare. Guitare électrique, bien sur. Jusqu’à l’obsession. Le genre d’addiction positive qui fait le sel d’une certaine forme de musique, plutôt rangée au rayon rock’n’roll. Pas vraiment de la musique d’ailleurs, plutôt l’expression d’une sensation tétanisante, celle que seule la guitare électrique procure. Et c’est surement le genre d’obsession que se cogne Sune Rose Wagner, moitié du groupe The Raveonettes (avec Sharin Foo) qui semble être né une Jazzmaster à la main.

Un son de guitare électrique, à l’écoute, ça paraît simple. Et pourtant, n’importe quel gamin a essayé, dans son garage avec ses potes, pour immédiatement comprendre qu’en fait…pas du tout. C’est carrément du boulot. Un boulot pour lequel The Raveonettes « touchent leurs billes » comme on dit à Ennezat, et ce dès leur première publication, le EP « Whip it on », paru en 2002.

Introuvable en vinyle depuis des lustres (un pressage original danois de 2002, bon courage…), Sony Music à réédité en 2022, en un seul disque, les deux premières publications du groupe. En face A « Whip it on », en face B leur premier album « Chain gang of love ». Impec, on peut donc désormais écouter leur premier disque sans se lever pour changer de face (gros fainéant qu’on est), une bière dans la main droite, une Craven dans la main gauche, et le volume à fond dans les deux oreilles. Car, au risque de passer pour un troud’balle, il est manifeste que ce genre de disque, s’appréciant à plein volume, rempli de reverb et de glorieuse saturation, supporte bien mieux l’écoute en vinyle.

22 minutes de guitare électrique tétanisante. Un son sec, sans « sustain », comme une gifle à chaque mesure. Un disque qui transpire l’amour de l’électricité et l’expression de sa maîtrise (meilleurs exemples : « Do you believe her » et « Chains », à vous griller le cerveau). Une des meilleures expressions de ce que permettent six cordes électrifiées et chauffées à blanc, ou bien, pour le dire autrement : comment faire de la musique avec le bruit du tonnerre (orage et éclairs compris).

The Raveonettes est une sorte d’hommage aux girls group de Phil Spector, pour la composition (tout comme The Jesus and Mary Chain, dont le groupe danois ne cesse d’invoquer le fantôme), mais aussi pour une certaine forme de « mur de son », terme habituellement employé pour qualifier la musique du nabot toxique producteur des Ronnettes. En effet, il s’agit bien ici d’un mur, dans le sens ou la musique n’a pas de relief, fonctionnant un peu comme un « All-Over » en peinture (bon, on à bien conscience qu’on vient de perdre tout crédibilité en disant un truc comme ça, mais on s’en fout, c’est juste pour se la péter). Pas d’instrument en avant l’un par rapport à l’autre, un ensemble tout lisse comme un bon vieux voile béton, 20 cm d’épais, sans aspérité, pour mieux se fracasser la tête. A la fin, c’est le mur qui gagne.

Dernier morceau du disque : « Beat City », au son de guitare mortel (une fois encore), façon tronçonneuse létale à découper les hippies, et où Sune Rose Wagner répète en boucle au milieu du déluge électrique : « wanna die in beat city ». Au moins, c’est clair.

PS :

Chose étrange : lorsque, pour comparer le son, on a écouté ce disque sur Itunes Music (un peu fort, certes), le logiciel nous a proposé, après quatre morceaux, de… baisser le son! Nous prions donc Apple de bien vouloir aller se faire foutre.

SANS SUCRE AJOUTÉ

Le titre : Songs Of Love And Horror

L’artiste : Will Oldham

Le format : 33T/30 cm

La date de sortie : 2018

Le genre :  Folk-music tordue

C’est qui ?:  Le mec de Palace Brothers

Qui joue dessus ?: Will Oldham

Comment ca sonne ? : Soir d’été, sous un porche, on entends les petits oiseaux

Qualité du pressage :

Bonne

Drag City – Pressage Original US.

Ce qu’on en pense :

Will Oldham ne ressemble à rien, s’habille n’importe comment, semble se foutre de tout, a un humour bizarre, une discographie erratique et pourtant, quand on regarde le compteur, on reste interdit. Le genre d’artiste dont on n’écoute pas souvent les disques, mais dont on sait qu’un jour, un beau dimanche matin ensoleillé par exemple, on pourra s’asseoir et tout réécouter. Que rien n’aura changé, et que le monde sera toujours aussi beau qu’autrefois.

Alors certains esprits chagrins trouvent qu’il chante faux. Comme si c’était un critère valable dans le genre. Aussi idiot que cela puisse paraître à dire, on considère qu’Oldham chante mal … comme il faut. C’est un peu comme les pains laissés sur les enregistrements réalisés avec Palace Brothers, ce n’est pas vraiment le sujet et si vous aimez la perfection technique, allez plutôt à la Philarmonie de Berlin. En plus d’apprécier la rigueur métronomique teutonne, un bretzel à la main, vous aurez le plaisir de visiter un des chefs d’œuvre de l’architecture contemporaine. Tout bénef. (Tant que vous y êtes, allez à la bibliothèque qui est juste à coté. Avec un peu de bol vous tomberez sur les anges du film de Wenders).

Difficile à suivre pour le complétiste, Will Oldham est un vrai cauchemard éditorial. On a perdu le compte de toutes ses incarnations : Palace Brothers, Palace Music, Palace…tout court, Superwolf, Bonnie Prince Billy ou Will Oldham. Et quand ça le prend, il sort même des disques de country, avec pedal steel, chapeau de cowboy et tout le bazar. Sur ce disque c’est Will Oldham tout seul, avec sa guitare, parcourant une partie de son répertoire, ce qui d’emblée peut rendre méfiant, car les machins « unplugged » juste pour sortir un disque, on en a soupé. D’autant plus,  que comme le dit un dicton de Nashville: « Si vous donnez un coup de pied dans un arbre, vous récolterez 15 chanteurs folk à guitare, tous prêts à vous pourrir votre soirée ».

Ici, rien de tout ça, on plane à dix mille, loin des boutonneux à lunettes qui se prennent pour Dylan. Ce qu’on constate d’emblée à l’écoute du premier morceau, une version tétanisante de « I see a darkness », un des plus grands morceaux écrit par Oldham (texte compris, chose rarement évoquée à son sujet), racontant l’amitié pas du tout virile de deux types dont un essaie de faire comprendre à son pote qu’il est grave dépressif et que seule leur amitié le sauve, même si apparemment l’autre n’a rien capté…. Deuxième morceau encore mieux (Ohio River Boat Song – un vieux single de Palace Brothers), etc, etc, sur l’ensemble du disque. Du coup, on plaint carrément ceux qui ne supportent pas sa voix.

DOUBLE CHEESE

Le titre : Cruel Country

L’artiste : Wilco x 2

Le format : 33T/2×30 cm

La date de sortie : 2023

Le genre :  Folk en sourdine x 2

C’est qui ?:  Le groupe de Jeff Tweedy x 2

Qui joue dessus ?: Jeff Tweedy, Neils Cline, Glenn Kotche, John Stirratt, Mikael Jorgensen, Pat Sansone x 2

Comment ca sonne ? : Feutré x 2

Qualité du pressage :

Bonne x 2

dPBm Records – Pressage Original US.

Ce qu’on en pense :

Le dernier album de Wilco est un double. Encore… On vient de compter, et incrédule, on constate que c’est leur septième! Sept double-albums! Remarquez, ils avaient prévenu dès le début, leur deuxième album (« Being There ») en était déjà un. Mouais…Pour une forme de musique où la fulgurance et la brièveté du propos prévalent,  de préférence servie sur un single 7 pouces tout chaud et où il faut tout dire en moins de 3 minutes, cela laisse rêveur.

En effet, les double-albums qu’on peut écouter en entier sans s’emmerder se comptent sur les doigts de la main d’un charpentier. Petit rappel, vite fait, pour le plaisir :

« Blonde On Blonde »  de Bob Dylan, publié en 1966. Que des bons morceaux (voir de grands morceaux pour certains), un groupe qui tue et la classe intégrale. Il faut toutefois arriver à supporter sa voix pendant 73 minutes, ce qui relève de la science-fiction pour certains. En plus la photo de la pochette est floue…

« The Beatles » des Beatles (dit « le blanc »), publié en 1968. Lennon et McCartney, désormais incapables d’écrire ensemble, ramènent leurs tas de chansons en studio (et même leur copine, dans le cas de Lennon), avec de quoi faire un album chacun. Résultat : un double gargantuesque, au détriment de leur producteur, George Martin, qui a toujours considéré que cela aurait fait un excellent simple. Lassé qu’on lui pose la question, McCartney déclarera de manière définitive dans le documentaire « Anthology » : « That’s the Beatles fuckin’ White Album, so what ? ». Merci Paulo.

« Exile On Main Street » des Rolling Stones, publié en 1972 et point final de la suite ahurissante composée de « Beggars Banquet », « Let It Bleed » et « Sticky Fingers ». Toute la mythologie des Stones en marche : l’enregistrement (en partie) dans le sous-sol torride d’une villa de la Côte d’Azur, Keith Richards réincarné statut du commandeur de la bohème défoncée, les photos de Dominique Tarlé devenus les retables de l’imagerie rock’n’roll et un disque que certains considèrent  comme le plus grand disque de rock jamais produit. Ils ont surement raison.

Petite bizarrerie : « Marjory Razorblade » de Kevin Coyne, publié en 1973. 4 faces d’un chanteur que tout le monde a injustement oublié, pas un morceau en dessous de l’autre, singulier et fascinant de bout en bout.

Et puis c’est tout (à part peut être « Daydream Nation » de Sonic Youth).

Vous conviendrez surement que les exemples cités précédemment appartiennent aux temps héroïques du rock’n’roll, période allant grosso modo de 1964 à 1973, et dont l’importance historique est incontestable. Après, tout ne sera que redite (si, si, même le punk, pas la peine de monter sur vos grand chevaux…). On reste donc circonspect quand des groupes pensent qu’en 2023 on a envie de passer une heure et demi en leur compagnie. A moins qu’ils n’aient quelque chose de déterminant à dire qui justifie de balancer 21 morceaux d’un coup. Ce qui n’est jamais le cas et participe à l’affadissement du genre.

Aux beaux-arts, une des premières choses qu’on apprend c’est de savoir s’arrêter de dessiner quand il le faut. Que bien souvent, il ne faut pas en rajouter, sous peine d’amoindrir la composition d’ensemble. En musique c’est un peu pareil, on peut tout faire foirer en rajoutant des trucs inutiles. En témoignent par exemple les deux premiers albums de Tindersticks, deux doubles, beaucoup trop longs, qu’on ne réécoute jamais pour cette raison.

Alors, c’est pas qu’on aime pas Wilco, au contraire (ce disque comporte des morceaux excellents), mais on aimerait quand même que Tweedy pose son melon deux secondes et prenne cinq minutes pour faire le tri dans ses chansons. Car pour cet album, comme pour beaucoup de doubles, on reste persuadé qu’il aurait fait un excellent simple et qu’on ne peut s’empêcher de penser que ce genre de publication relève d’un manque de discernement du groupe vis à vis de sa production. Ou d’un ego démesuré.

PATHOS

Le titre : To Know Him, Is To Love Him

L’artiste : The Teddy Bears

Le format : 45T/17,5 cm

La date de sortie : 1958

Le genre :  Bluette toxique

C’est qui ?:  Le groupe de Phil Spector, quand il était gamin

Qui joue dessus ?: Annette Kleinbard, Phil Spector, Harvey Goldstein, Marshall Leib

Comment ca sonne ? : Comme un dimanche matin

Qualité du pressage :

D’époque…

London Records – Pressage Original UK.

Ce qu’on en pense :

On peut dire ce qu’on veut, mais la musique pop c’est avant tout des singles. Le 45 tours 7 pouces, arme absolue de diffusion à grande échelle, taillé sur mesure pour le porte-monnaie des adolescent(e)s du monde occidental de la deuxième moitié du  XXème siècle. L’équivalent des « 45 minutes d’attention quotidienne de la ménagère de moins de 50 ans », version teenage 60’s. 3 minutes pour tout dire, sinon c’est les oubliettes. Un genre qu’a magnifié Phil Spector jusqu’au firmament, maître absolu de la ritournelle adolescente pour pickup au début des années 60, avant que les Beatles et les Stones viennent lui faire bouffer ses talonnettes.

On a tout dit sur le nabot infâme, son « mur de son » resplendissant de reverb, ses moumoutes ridicules, ses coups de feu en plein studio, sans parler de son comportement criminel terminal. Au final, tout ce bazar de « nabab de la pop » a naturellement éclipsé le fait indéniable que le petit Harvey Philip Spector savait écrire des chansons.

Quand il était petit donc – jeune on veut dire, il a toujours été petit, ce qui l’a visiblement fortement perturbé, à tort – Phil Spector avait monté un groupe vocal, comme on disait à l’époque (ou un groupe de doo-wop, si vous voulez) : The Teddy Bears. Qui publia en 1958 ce single : 2 minutes 22 secondes d’apesanteur, écrit par Spector. Des ours en peluches mignons tout plein, entonnant une mélodie lumineuse et un pont à frémir. Sauf que sous le vernis, la toxicité du Winston Churchill de la pop était déjà là : la ligne du refrain qui donne son titre au morceau, « To know him, is to love him » est en fait l’épitaphe gravée sur la tombe de son père, suicidé sans laisser de lettre, alors que Philou était tout minot….De quoi engendrer un trauma biblique.

C’est ce qui pourrait faire de Spector une sorte de dilemme pop équivalent à celui de Céline en littérature (pour les Français en tout cas, qui sont du genre à avoir ce genre d’angoisses existentielles vis a vis de leur patrimoine culturel). Comment est-ce possible de produire « Da Doo Ron Ron », « Spanish Harlem » ou « Be My Baby » en étant un parfait salaud ? On parle quand même d’un type capable de séquestrer sa femme (Ronnie Spector), de lui « offrir » des enfants pour noël, de pointer un flingue sous le nez de Leonard Cohen, et puis plus tard d’assassiner Lara Clarkson dans son manoir, tout en expliquant à la presse que, de toute façon, c’était une connasse et que si on voulait bien arrêter de l’emmerder avec ça, etc….

En fait, même si cela laisse une tache désagréable, cela révèle que cette musique est, dans le sens premier du terme, un produit. Qui se consomme en tant que tel, en dehors de toute contingence. Et qui dans le cas d’un single pop, comme par exemple « He’s a Rebel », pris au hasard parmi d’autres merveilles, emmène tout sur son passage. Qu’on le veuille ou non, l’éclat l’emporte sur le reste, aussi infâme soit-il.

Si ça se trouve, Mikhaïl Kalachnikov était un mec super sympa.

NARCOTIQUES ANONYMES

Le titre : The Future Is Your Past

L’artiste : The Brian Jonestown Massacre

Le format : 33T/30 cm

La date de sortie : 2023

Le genre :  C20/H25/N3O

C’est qui ?:  Des mecs qui connaissent par cœur le schéma électrique d’un AC30

Qui joue dessus ?: Anton Newcombe, Hakon Adalsteinsson, Uri Rennert.

Comment ca sonne ? : Comme un avion traversant le triangle des Bermudes

Qualité du pressage :

Bonne.

A Recording Ltd – Pressage Original UK.

Ce qu’on en pense :

Cette fois, c’est sûr, Anton Newcombe a arrêté les drogues dures. Après avoir passé plusieurs années à sortir des disques pas franchement mauvais, mais pas franchement bons non plus, The Brian Jonestown Massacre publie son deuxième bon disque d’affilée. Une première dans leur discographie, pourtant fournie.

5 morceaux par face, rien au dessus de 4 minutes, deux simili-tube (The Light Is About To Change et Your Mind Is My Cafe), et en point de mire l’habituel horizon sonore lysergique et vibrant qu’affectionne Newcombe. Il y a bien un morceau pas terrible à la fin de la première face, mais pour le reste on est heureux de retrouver le groupe creusant son sillon habituel, hérité des groupes de la tendance dite « psychédélique » (en gros, des américains des années 60 défoncés aux psychotropes, parlant de lapins blancs et capables d’écouter en entier un album de Grateful Dead). Une forme de musique rock complètement blanche, dans  le sens ou le blues en est complètement absent. Incapable d’invoquer une sensation quelconque, autant s’en procurer en gobant des champis et passer des jours sur un son de guitare. Un parti pris risqué et qui supporte moyennement la médiocrité. Ce qui différencie ce groupe de la plupart des autres formations dites « psyché » – rien que de l’écrire on trouve ça débile…- puisqu’il est capable, quand il le veut bien, de sortir des chansons pop avec tous le matos nécessaire : riff, mélodie, son et en prime un vrai talent pour les titres des morceaux.

Ecouter The Brian Jonestown Massacre permet en fait, de façon détournée, d’éprouver l’influence des Beatles sur l’ensemble de la production musicale. Au risque de paraître un peu salaud, on peut même considérer que l’ensemble de la carrière du groupe est un hommage au « Tommorrow Never Knows » du groupe de Liverpool. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que Newcombe se fringue comme Harrison lors du séjour des Beatles en Inde auprès du Maharashi : tunique blanche, breloques, colifichets et regard perdu vers le Népal.

C’est pourquoi les esprits chagrins vous diront : « Ben ouais, c’est comme les Byrds, The 13TH Floor Elevators ou les groupes psychédéliques des années 60, ça va bien, passons à autre chose et gnagnagna….». Ces gens là ignorent qu’il est bon d’aimer ses maîtres et que l’ensemble de la musique populaire relève de cette construction.

Au  bout du compte, on est heureux que, soixante ans plus tard, ce style de musique perdure (même rarement) car au moins elle a un gout, une saveur et une tenue qui confine à la droiture. Celle toute simple de vouloir se perdre dans le son, jusqu’à l’étourdissement, guitares carillonantes en avant.

PS :

La pochette de l’édition vinyle est laissée blanche, à l’exception d’un dessin au trait représentant un lance missile. Fournie avec le disque, une petite boite de crayon de couleur, estampillée du logo du groupe (la classe). Libre à vous de colorier la pochette de votre album comme bon vous semble, des fois que vous auriez que ça à foutre… Si on avait son adresse, on renverrais volontiers le tout à Newcombe afin qu’il termine le boulot.

ULTRA VIOLENCE

Le titre : Here’s The Sonics

L’artiste : The Sonics

Le format : 33T/30 cm

La date de sortie : 1965

Le genre : Sauvagerie adolescente

C’est qui ?: Des gamins de Seattle

Qui joue dessus ?: Gerry Roslie, Larry Parypa, Andy Parypa, Bob Bennett, Rob Lind

Comment ca sonne ? : Comme un cirque qui percuterait un mur.

Qualité du pressage :

Bonne.

Norton Records – Pressage US – Réédition (en Mono) de 1998.

Ce qu’on en pense :

« L’habit ne fait pas le moine », une expression convenue, que tout le monde connaît, mais dont personne ne peut pourtant se défaire. Pour comprendre que « l’habit ne fait pas le moine », il faut réfléchir deux minutes et malheureusement, il semblerait que réfléchir deux minutes, c’est déjà beaucoup. Si c’était le cas, la machine marchande ne produirait pas de spot de pub pour un parfum au nom ridicule où l’on verrait ce baltringue de Johnny Depp, dans son costume de « rock’n’roller », faire péter dans le désert les accords de «Wild Thing » devant un mur d’ampli, accompagné d’une meute de loup…On croit rêver.

The Sonics, c’est tout le contraire. A en juger par la pochette, on dirait les mecs du club de lecture du lycée, tendance Tolkien, parfaitement inoffensifs et mignons tout plein (deux d’entre eux portent même des gilets, c’est dire). Sauf que quand on pose le disque sur la platine, laissez tomber… Peut aller se faire foutre l’autre mickey d’Hollywood avec sa Gibson customisé de bourgeois, ses contrats avec Dior et son maquillage au khôl pour singer Keith Richards. Le vrai truc c’est eux, même sapés comme des diacres et pris en photo dans le CDI.

Car en effet, même si on porte des fringues pas rock’n’roll du tout et qu’on ne ressemble à rien, on ne s’appelle pas « The Sonics » par hasard…On aurait du se douter. On pourrait penser qu’ils font partie de la vague de groupe américains dits « garage », sauf que, avec les Kingsmen, ils étaient là juste avant, dès 1964, date de sortie de leur premier single : « The Witch ». Un vrai truc de malade, éblouissant de saleté et de sauvagerie, qui fait qu’on peut considérer que The Sonics ont quasiment inventé le rock garage. Un groupe proto-Hard Rock, proto-Punk, proto-Post Punk, proto-Hardcore, proto-Grunge,….. proto-Tout. Le cri primal du troglodyte adolescent qui résonnera dans les garages pour l’éternité.

Et contrairement à pas mal de leurs collègues du rayon « garage », l’album est bon dans son ensemble, même si, comme de coutume à l’époque, c’est moitié reprises, moitié compositions. Les reprises, d’abord : toutes excellentes et racées, issues d’un répertoire classieux : Chuck Berry, Berry Gordy, Richard Berry, Rufus Thomas, Little Richard (carrément « Good Golly Miss Molly », même pas peur !). Les compositions, ensuite. Seulement quatre, mais vu leur potentiel explosif, il n’en fallait pas plus : « The Witch », « Boss Hoss », « Psycho » et « Strychnine ». Un des plus grand défouraillage jamais enregistré, l’Alpha et l’Oméga de la musique des sauvages, celle qui a traumatisé Iggy Pop, Ron Asheton, Wayne Kramer, etc…

Reprises et compositions dans le même sac, passées à la moulinette ultra saturée du son cradingue, des solos poucrates et des hurlements de damné. Car en effet, personne n’hurle comme le chanteur, Gerry Roslie, un des rares mecs de type caucasien à pouvoir sortir le hurlement létal de Little Richard (avec McCartney, quand il avait encore de la voix). Le grain de la licence dans les cordes vocales, la violence du son et l’outrage au bon goût font que The Sonics ont établis avec ce disque la plus pure expression du crachat au ciel adolescent. Les trois points d’exclamation de la pochette ne sont pas de trop.

ANOMALIE

Le titre : Danger Mouse and Sparklehorse Present Dark Night of The Soul

L’artiste : …..

Le format : 33T/2×30 cm

La date de sortie : 2010

Le genre : Pop tordue

C’est qui ?: Un producteur avec un nom débile et un grand groupe américain

Qui joue dessus ?: Merci de consulter les notes de pochettes, trop de monde

Comment ca sonne ? : Über cool

Qualité du pressage :

Excellente.

Lex Records – Pressage EU – Pressage original de 2010.

Ce qu’on en pense :

Ce genre d’album, on se demande comment c’est possible. Un truc que les maisons de disque n’ont pas l’habitude de publier, un disque dont on ne sait pas d’où il est sorti et pourquoi il existe. Visiblement, un exercice de style pour se faire plaisir, à l’initiative du producteur Danger Mouse (comme pseudo, plus con tu meurs….son vrai nom : Brian Burton) et du musicien Mark Linkous (le mec de Sparklehorse).

En résumé :

Production : Danger Mouse et Mark Linkous

Pochette : David Lynch

Personnel convoqué (co-écriture et interprétation):

  • Jason Lytle (Grandaddy)
  • Julian Casablancas (The Strokes)
  • James Mercer (The Shins)
  • Iggy Pop (The…on vous laisse deviner)
  • Black Francis (Charles Thompson)
  • Suzanne Vega
  • Vic Chesnutt
  • David Lynch
  • Mark Linkous

De quoi faire tomber dans les patates n’importe quel lecteur des Inrocks, entre deux caïpirinhas.

Un rassemblement de musiciens de cette sorte, façon « All-star game du rock indé», ça peut foirer. Par bonheur, ce n’est pas la cas. Tous les morceaux sont bons (voire magnifiques – ceux de Linkous, Mercer et Lytle en particulier). La production est excellente et parvient à unifier l’ensemble des compositions de façon homogène, même si on reconnaît la particularité de tous les protagonistes. Sauf pour le dernier titre évidemment, celui du mec qui ne fait rien comme tout le monde : David Lynch. Un morceau terrible, crépusculaire, chanté de sa voix nasillarde remplie d’écho, comme une sorte de testament musical de « Twin Peaks » et qui à lui seul vaut l’achat du disque.

Entendre chanter Suzanne Vega par dessus la guitare de Sparklehorse laisse rêveur quant à d’éventuelles collaborations qui n’auront jamais lieu. Sorti en 2010, ce disque constitue hélas les derniers enregistrements officiels de Vic Chesnutt et Mark Linkous, deux musiciens qui à l’heure actuelle boivent un coup au paradis avec Leonard Cohen, alors qu’Elton John court toujours, la chandelle dans le vent.

ON RÉCOLTE CE QU’ON SÈME

Le titre : Perfect Night Live In London

L’artiste : Lou Reed

Le format : 33T/2×30 cm

La date de sortie : 2017

Le genre : Chansons toxiques

C’est qui ?: Le musicien préféré de Charles Thompson

Qui joue dessus ?: Lou Reed (beaucoup), Mike Rathke (un peu), Fernando Sanders (à peine), Tony « Thunder » Smith (quasiment pas)

Comment ca sonne ? : D’enfer que t’y crois pas

Qualité du pressage :

Excellentissime.

Reprise Records – Pressage EU – Pressage original de 2017.

Ce qu’on en pense :

Si c’est pour publier des trucs comme ça, on va finir par arrêter de dire du mal du Record Store Day. Voir même s’excuser. En fait non, le sujet étant Lou Reed, on ne va pas s’excuser du tout et on va continuer de penser que les gens qui se rendent une fois dans l’année chez leur disquaire, ce jour là précisément, sont un peu bizarres. C’est comme pour la fête de la musique. Quand on aime vraiment ça, la fête de la musique c’est tous les jours. Sauf le 21 Juin.

Enfin bref, ce live de Lou Reed a été publié à l’occasion du Record Store Day de 2017 et on ne va pas le bouder par principe, ce qui serait scandaleux vu la qualité de l’enregistrement. Même si on pense que, du coup, le principe de cet « événement » étant de rendre artificiellement certains disques «collector» (terme horrible, un vrai truc de blaireau – ou de fan de Queen, ce qui revient au même), on trouve merdique qu’il n’ait été publié qu’à 3000 exemplaires, donnant des cartouches à tous les connards qui achètent ces publications le jour de leur sortie, sans les écouter, uniquement pour les revendre plus tard avec une plus-value aux gens que cela intéresse vraiment. Des disques de rock’n’roll, un genre normalement populaire et accessible par nature, soumis à la spéculation, vous y croyez vous? Un coup à vous faire bouffer votre exemplaire anglais original (Mono) de Sgt Pepper. Alors que ce disque de Lou Reed devrait être distribué gratuitement dans toutes les écoles américaines par le ministère de l’éducation, s’il existe.

Enregistré à Londres en 1997, lors du Meltdown Festival, il s’agit du Lou Reed tardif, celui d’après « New-York ». Le Lou Reed purgé et devenu obsédé par le son de sa guitare. L’affreux capable de traumatiser un ingénieur du son en lui demandant « Pour le son de la guitare, c’est pas terrible. Tu peux me le faire plus « boisé » ?. On imagine la tête du mec se disant « Bon, j’aime bien le Velvet, mais là le vieux il fait vraiment chier ». Pour le bien de tous, car il est manifeste qu’à partir de 1989, année de sortie de « New York », Reed a arrêté de produire ses albums n’importe comment, même si pour cela il a du rendre fou plusieurs producteurs.

C’est la première chose frappante à l’écoute. Le son de guitare. A tel point que c’est l’unique sujet des notes de pochettes et que sont crédités sur le disque, juste après les musiciens, les techniciens guitare et basse, chose inédite à notre connaissance. Notes qui raconte que Loulou était enchanté de faire ce concert, ayant enfin le son qu’il attendait : « an acoustic guitar with the sound of diamonds ». Rien que ça…Quel frimeur, ça va que c’est lui.

Effectivement, si vous aimez la guitare (mais qui ne l’aime pas), vous allez passer un moment unique. Reed joue donc sur une guitare acoustique, directement branchée sur un ampli et le résultat est en effet édifiant. « Ça sonne sa mère » comme dirait Pete Townsend, et on à le sentiment d’écouter une version mise à jour du Velvet Underground, groupe dont la qualité sonore des enregistrements n’est pas le point fort.

Si ce n’était que cela, cela suffirait amplement, mais c’est sans compter avec le répertoire du chanteur, plutôt balèze, même s’il l’a souvent massacré en sortant des albums à la production limite. Des versions formidables de morceaux dont les versions studios sont pourries (« New Sensations »), des morceaux inédits sortis de nulle part (« Talking Book »), des versions mortelles de morceaux déjà connus (« The Kids », « Busload Of Faith » ou « Coney Island Baby ») et en ouverture de l’album une version d’ « I’ll be your Mirror » qui vous fera trembler. Certes, il craque un peu sur la face D, avec un morceau au phrasé rap pas terrible du tout, mais comme il termine par « Dirty Blvd. », tout roule (même s’il y force un peu trop sa voix).

Ce disque est une merveille. Outre la qualité du répertoire, la prise de son est tellement bonne qu’on dirait un album studio et on se demande sérieusement si ce n’est pas le meilleur album de Lou Reed, toutes publications confondues. Tout court, en fait.

SA GUITARE ET SON COUTEAU

Le titre : The Alan Lomax Recordings

L’artiste : Fred McDowell

Le format : 33T/30 cm

La date de sortie : 2011

Le genre : Blues létal

C’est qui ?: Un fermier

Qui joue dessus ?: Fred McDowell

Comment ca sonne ? : Naturel

Qualité du pressage :

Moyenne.

Mississippi Records – Pressage US – Pressage original de 2011.

Ce qu’on en pense :

Il n’y a pas de mot pour décrire l’importance du travail d’Alan Lomax, le type qui a documenté les musiques vernaculaires américaines, tout seul avec son magnéto sous le bras. La musique des malpropres dont tout le monde se fout aux Etats-Unis. Celle des bouseux des Appalaches ou celle des esclaves des états ségrégationnistes. Son travail le plus célèbre, autant que le plus déterminant, étant la série d’enregistrements qu’il réalisa en 1941/42 dans les états du Sud, avec, entre autres, les premiers enregistrements de Muddy Waters et de Son House. On imagine même pas l’effet que cela doit faire de poser son magnéto devant Son House et de l’écouter vibrer en direct, à 50cm…un coup à faire un AVC.

Presque vingt ans plus tard (1959), Lomax retourna dans le Sud pour voir s’il n’avait rien raté, sans se faire d’illusion et se disant que la plupart des types devaient être canés. C’est ce que racontent les excellentes notes de pochette de ce disque (cherchez pas, sur Spotify y’a pas…), où on apprend que Lomax, en train d’enregistrer tranquillou les frères Pratcher (des types sortant plutôt un répertoire de minstrel songs) voit débarquer leur voisin qui vient de rentrer du boulot. Ce type, qui revient de son champ de coton (cliché, mais véridique) c’est Fred McDowell.

Salut les gars, ça va ? Ouais je veux bien une bière…Tu me passes ta guitare Lonnie? Je peux vous jouer un truc? Et là….Lomax et Collins (un musicien anglais qui l’accompagnait) ont du triper comme des gorets à l’écoute du blues dépouillé mais vivace du fermier. Bingo! Ils ont trouvé un mec qui était passé sous le radar.

Fred McDowell, né en 1905,  avait jusque là passé sa vie à travailler comme fermier, jouant de la guitare le samedi soir pour ses copains, puis dans les pique-niques et fêtes de mariage (schéma récurent chez les bluesmen du Sud). De la guitare slide, avec les moyens du bord, se servant d’un os ou d’un couteau en guise de bottleneck. Ou du cou d’une bouteille de gin Gordon’s qui, selon lui, donne « un son plus clair ». Plus vernaculaire, tu meurs.

Pour ceux qui aiment le blues des origines, celui du Delta (le seul, en fait), ces enregistrements de 1959 sont extraordinaires. Un type tout seul à la guitare, dont la facture slide grossit le son. En fait la guitare chante, autant que le bonhomme qui en joue. Comme par exemple sur le morceau « When You Get Home Please Write Me Your Lines », à la partie de guitare hallucinante. Brutale et tonique comme un morceau des Stones. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien, qu’ayant repris un de ses morceaux («You Got To Move » sur « Sticky Fingers ») ils lui ont offrirons un habit de lumière (un costume lamé argent).

Il mourra juste après et sera enterré avec. Trop tard.

MAUVAISE BLAGUE

Le titre : Instant Street

L’artiste : Deus

Le format : 45T/17,5 cm

La date de sortie : 1999

Le genre : Chef d’œuvre burgonde

C’est qui ?: Le meilleur groupe de rock belge (ce n’est pas une blague)

Qui joue dessus ?: Tom Barman, Craig Ward, Danny Mommens, Piet Jorens

Comment ca sonne ? : Magnifiquement

Qualité du pressage :

Excellente.

Island Records – Pressage UK – Pressage original de 1999.

Ce qu’on en pense :

Si vous aimez Deus, n’achetez surtout pas ce single. Remarquez, si vous ne l’avez pas, cela ne risque pas d’arriver, à moins de tomber dessus par hasard dans une brocante, entre 12 Johnny Hallyday et 50 Claude François. Donc, si vous l’avez, vous savez de quoi on parle et si vous ne l’avez pas, vous n’avez rien raté, à moins de vouloir documenter la façon inique dont l’industrie du disque traite ses clients.

En effet, on lit sur la pochette « Instant Street – Deus ». Clairement. Comme on aime bien les singles, et encore plus les grandes chansons, vas-y qu’on l’achète, tout content. On pose le disque sur la platine et c’est parti.

Le riff d’intro au banjo, ultra cool. Premier couplet super. Le deuxième pareil, avec les arrangements d’enfer. Le refrain tout bizarre, encore mieux. Retour au couplet et de nouveau le refrain, avec là gros décollage (les violons ça fait toujours ça…). Encore un couplet et un refrain, et puis le début de la partie instrumentale, un truc venu d’ailleurs qu’on croirait écrit par Sonic Youth. La guitare toute bizarre – on guette la partie de grosse guitare rythmique qu’on adore, celle qui finit de vous achever et là….un fondu et au revoir.

DE QUOOOIIIII ? Non mais, ça va pas ? Du coup, on vérifie sur le macaron. Non, il y a bien écrit « Instant Street ». La suite ça doit être sur la face-b, c’est pas possible. On retourne le disque, et là on constate qu’en face-b il y a une démo pas terrible. Aaaaaargh ! Dépité, on consulte le verso de la pochette, où effectivement est renseigné un lamentable « Instant Street – Radio Edit ». Donc, une version pour la radio.

Ah ben bravo. Qui a entendu ce titre à la radio en 1999? Franchement? Et pour quelle radio? Celles prêtes à le diffuser l’auraient surement fait sans tronquer la partie instrumentale de 2 minutes qui conclue le morceau (là où le groupe sort de boite de nuit et se met à danser dans la rue, pour ceux qui se souviennent de la vidéo – ou alors le moment où vous hochez la tête comme un perdu tellement c’est bon, en vous disant que c’est pas possible que des belges aient cartonné un truc comme ça). Allez hop, on ouvre la fenêtre et ziiiiiiiim,  on jette le disque sur le boulevard.

On le voit d’ici le gros con de chez Island Records: « Mouais, un single de 6 minutes, c’est pas possible…On vire la fin, là où y’a plus de paroles. De toute façon c’est trop long.». Il a surement cru qu’en faisant cela il allait en vendre 10 de plus, alors que le morceau aurait pu être découpé en deux faces (même si 6 minutes de musique ça rentre sur une face…), comme cela s’est déjà fait pour de grands singles. « What’d I Say » de Ray Charles par exemple, où la partie avec les chœurs est sur la face-b, ou même « Bad Girl » de Lee Moses, carrément coupée en plein milieu. Mais bon, inscrire « Instant Street » au Panthéon des grands singles, le mec d’Island il s’en contrefoutait.

Pour avoir une idée de l’effet que produit l’écoute de ce machin, écoutez la version de l’album et à 4 minutes 10 précisément…coupez le son. Le plus grand coïtus interruptus musical qui soit.

Vu le trésor national qu’un groupe comme Deus représente, le roi des Belges devrait demander réparation à la maison de disque.