BLITZKRIEG

Le Titre : Live At The Star Club Hamburg

L’artiste : Jerry Lee Lewis

Le format : 33T/30 cm

La date de sortie : 1964

Le genre : Grosse décharge

C’est qui ?: Un voyou

Qui joue dessus ?: Jerry Lee Lewis and the Nashville Teens

Comment ca sonne ? : Wunderbar!

Qualité du pressage :

Excellente.

Bear Family Records – Réédition de  2010 – Pressage GER

Ce qu’on en pense :

Bon ben cette fois, ça y est. Sont tous morts.

Chuck Berry, Bo Diddley, Little Richard et récemment Jerry Lee Lewis. Ceux qui ont « écrit le livre » comme on dit. Vu l’état actuel de la production musicale, rayon rock’n’roll, on n’a pas fini d’écouter des vieux machins. Est-ce que c’est grave ? Non.

La musique rock porte en soi une forme de leurre, celui de la nouveauté. L’illusion que c’était la musique des jeunes. C’était en partie vrai dans les années 50, mais il s’agissait surtout d’un des attributs de la manifestation d’une nouvelle catégorie sociale, émergeante après guerre, celle des adolescents. Avant, c’était direct des culottes courtes au veston-cravate, avec passage par le service militaire, ça leur fera du bien à ces p’tits cons. Entre les deux, rien. Sauf pour les petits anglais, qui du coup auront tout loisir de jouer de la guitare et d’inventer la pop music, plutôt que d’aller se faire chier à la caserne. Le monde les en remercie.

Tout ça bien sur sans tenir compte des filles. Sauf que désormais les filles, en plus d’avoir la certitude qu’elle avait une âme comme les garçons,  avaient également un porte monnaie. Prêtes à se rendre chez le disquaire du coin (en fait plutôt des magasins d’électroménager, à l’époque) en disant au vieux en blouse derrière le comptoir: « Vous l’avez « Heartbreak Hotel » ? Vaudrait mieux, sinon avec mes copines on va tout casser chez vous».

Immersion dans le cerveau de Ruppert, cadre exécutif chez RCA en 1955 :

Ruppert : Dis donc, Bill, c’est quoi ce bordel avec ces blancs qui jouent de la musique de nègres? Sans dec, ça ressemble à rien…

Bill : T’inquiètes, c’est dans le Sud, c’est un truc de bouseux. Ça va leur passer à ces bourrins.

Ruppert : Ouais mais l’autre là, Elvis machin, il vend des carriolées de disques dans le Tennessee et quand il monte sur scène les filles font pipi dans leurs culottes. C’est bizarre quand même, non ?

Bill : T’inquiètes, j’te dis, c’est des conneries pour les gamins.

Ruppert : On se renseigne quand même, non? C’est quoi le nom du mec qui les enregistre dans son studio de pequenaud à Memphis ?

Bill : Sam Philips, un mec sympa. Attends, je l’appelle. Si les gamins veulent acheter ces conneries, t’as raison faut qu’on s’en occupe.

Jerry Lee Lewis était un artiste du label de Sam Philips (Sun Records), au même titre que Presley, Roy Orbison et Johnny Cash. Oui, oui, ces quatre là, sur le même label, au même moment. Heureusement que les faits sont irréfutables et historiquement établis, sinon les historiens du futur croiront à une blague.

Pas besoin de s’étendre sur la personnalité King Size de Jerry Lee Lewis (au hasard : mariage avec sa cousine de 14 ans, grande gueule, défoncé aux amphètes et crémation de piano live pour faire chier Chuck Berry qui refusait de passer avant lui sur scène). Sorti en 1964, mais enregistré en 1963, ce disque révèle une des particularité de cette musique: son effet de sidération.

Les lives, en général, c’est pas terrible, mais là c’est l’exception. La prise de son est excellente, d’une qualité étonnante pour un enregistrement des années 60. Le public étant mixé plutôt en avant (on entend même parfois tinter les verres) on « ressent » la salle. On voit littéralement les murs trembler et le club devenir le bastringue de l’enfer.

Ce concert est d’autant plus surprenant qu’il a été enregistré en Allemagne, dans un célèbre club du Reeperbahn, la rue de la soif d’Hambourg. Il était effectivement fréquent à l’époque que les clubs du quartier engagent des artistes anglo-saxons pour faire l’animation et rameuter les dockers au comptoir. C’est d’ailleurs comme cela que les Beatles apprendront le métier avant de revenir à la maison et de tout péter au Cavern Club. Vu l’enthousiasme du public, que l’on perçoit clairement sur l’enregistrement, on se dit que finalement les Allemands sont peut-être des êtres humains comme les autres.

Mais on assiste surtout à la performance d’un type dont on se demande s’il ne va pas s’embraser à la fin de chaque couplet. Les « grosses boules de feu » en vrai ! Accompagné d’un groupe terrible qui défonce tout, avec un guitariste (électrique bien sur) et un bassiste! Et pas des brêles, ce qui finit de grossir le son.

Les versions incandescentes de « Great Balls Of Fire », « Good Golly, Miss Molly », « Long Tall Sally » et « Whole Lotta Shakin’ Goin On » font de cet enregistrement un des plus grand live jamais publié. Un pur moment de rock’n’roll. Ne mettez pas trop fort, la peinture risque de se décrocher des murs. En fait si, mettez à fond, et laisser Jerry Lee Lewis faire tomber la foudre sur votre âme, pas grave pour la peinture.

La meilleure illustration de ce que veut dire Nick Cave quand il chante sur « Push the sky away » : « And some people say it’s just rock and roll / Oh but it gets you right down to your soul ».

NO SPORTS

Le Titre : Big Beat From Badsville

L’artiste : The Cramps

Le format : 33T/30 cm

La date de sortie : 1997

Le genre : Sous-genre

C’est qui ?: Le groupe préféré de Jon Spencer

Qui joue dessus ?: Lux Interior, Poison Ivy, Slim Chance, Harry Drumdini

Comment ca sonne ? : Sauvage

Qualité du pressage :

Excellente.

Epitath – Pressage original de 1997 – Pressage US

Ce qu’on en pense :

Chez les Cramps, et selon la formule consacrée dans les Combrailles avant d’attaquer un bon tripou : « Y’a tout qui va bien ! ». Le nom du groupe (Les Ragnoutes), le nom du label (Epitaph – trop cool), le pseudo des protagonistes (Lux Interior et Poison Ivy – ouahou !), l’esthétique des pochettes (super grave) et même les costumes (pour ça on vous laisse aller vérifier sur Youtube – ou faire appel a vos souvenirs pour certains).

Digression 01:

A ce sujet, il y a un gros problème avec la pochette de ce disque dans sa version dématérialisée. En consultant Itunes Music, on vient de s’apercevoir que ce n’est pas la bonne qui est publiée (pas vérifié sur Spotify). C’est quasiment la même, mais c’est une version différente. Avec une pose différente de l’originale, qu’on imagine censurée et trop suggestive pour Internet , ou la charte à la con d’Apple sur les contenus qui défrise les curetons. C’est comme si Grasset avait changé le titre du premier roman de Virginie Despentes pour finalement l’appeler « Embrasse-moua », sans lui demander son avis. Comme quoi ces plateformes c’est vraiment de la merde. Espérons que, si le paradis existe, Lux Interior soit au courant et fasse péter deux claques à Steve Jobs (pas sur qu’il y soit lui, mais bon…), lui hurlant ses propres paroles de son haleine toxique (« Do you want the real thing / Or you just talk ? » – Extrait de « Garbageman » – The Cramps « The Songs The Lord Taught Us » – Acte I – Scène III).

Sorti en 1997, ce disque des Cramps peut être qualifié de « tardif » dans leur discographie. C’est d’ailleurs leur avant-dernière publication, avant que le chanteur parte rejoindre Johnny Thunders aux Champs-Elysées des braves. A ce moment là, le groupe n’a plus rien à prouver, ce qui ne l’empêche pas de sortir un disque d’anthologie, sonnant comme un résumé magnifique de l’ensemble de leur production.

Bon déjà, la pochette. On sent qu’on va passer un bon moment. Au verso pareil, photo du chanteur en pleine descente avec un petit texte pour faire la retape du groupe, façon années 60, qui se termine par un « Proceed with Caution ». Tout en bas on remarque une petite note : «Play Loaded ». Oualalalalala, avant d’avoir écouté la moindre note, on n’en peut déjà plus, complètement frappé de coolitude déviante. On sort le disque. Pochette intérieure idem, avec les textes et des photos du groupe sur scène, en habit de lumière et bas résilles. Pose le disque sur la platine. Et là d’un coup….bienvenue à la maison : le cri primal plein d’écho, la grosse guitare garage de l’enfer, les hurlements de tarés dans le fond du mix, la batterie façon tribale, un petit larsen pour la forme. YEEEEEES !!!!

En effet, c’est peut être l’album des Cramps qui sonne le mieux, et qui donne immédiatement envie de monter le son. A s’en flinguer le cortex cérébral.

Digression 02:

Ce disque peut d’ailleurs servir de baromètre social. Si vous voulez savoir si vous êtes en bonne compagnie, passez le (sans oublier de montrer la pochette, bien sur – on vous fait confiance, vous l’avez en vinyle), mettez l’ampli à fond (ou pas, ça dépend un peu de l’âge de vos convives – passé 40 ans, ne dépassez pas 7, on sait jamais). Observez. Seuls ceux qui aiment vraiment le rock’n’roll resteront finir leur apéritif. Les autres connaissent déjà la sortie.

Alors les grincheux diront : « c’est quoi ce mec qui essaye de chanter comme Elvis ? ». Ce à quoi vous répondrez : « Oui…..mais en total cuir et avec des talons aiguilles ». En effet, les Cramps ne font que proposer une version toxique et dévoyée des premiers enregistrements pour Sun Records du gominé à sa maman, version « garaaaaaaage ». Avec un véritable sens de l’humour, élément omniprésent dans la production du groupe, chose que l’on ne perçoit pas forcement tout de suite, mais qu’on capte bien à l’écoute des certains textes, notamment sur le titre «Like a Bad Girl Should » (entre autres, sur cet album) et qui résume l’état d’esprit des musiciens:

I love your ass for bad or worse

I love your nasty way you curse

When you sit down it’s wild how you sit

Grind your heel in the ground…the groovy way you spit

Si c’est pas La Pléiade des graveleux ça, on sait pas ce que c’est…

Que la musique des Cramps soit une version électrique des premiers singles d’Elvis période Sun importe peu. Outre la musique, excellente, tonitruante et électrisante comme le genre l’exige, c’est aussi le propos qui compte. Celui d’une Amérique de la déviance, mais finalement pas très éloignée de celle de la vitrine (c’est juste qu’ils sont un peu crades et qu’ils aiment bien les martinets). L’expression du trauma des gens qui ne supportent pas les cheerleaders et les quarterbacks testostéronés. Celle des fans inconditionnels du rock’n’roll des origines et qui ont eu le talent de faire du mauvais goût une forme d’art, instaurant la noblesse des freaks.

DELIRIUM TREMENS

Le Titre : Our Mother The Mountain

L’artiste : Townes Van Zandt

Le format : 33T/30 cm

La date de sortie : 1969

Le genre : Beau à pleurer

C’est qui ?: Le plus doué des alcooliques (hors littérature)

Qui joue dessus ?: Townes Van Zandt, James Burton, Mike Deasy Sr, Jack Clement, David Cohen, Don Randi, Jules Jacob, Ben Dennay, Charlie McCoy, Harvey Newmark, Lyle Ritz, Chuck Domanico, John Clauder, Donald Frost

Comment ça sonne ? : Américain

Qualité du pressage :

Excellente. Fat Possum, c’est la classe.

Fat Possum Records – Réédition de  2007 – Pressage US

Ce qu’on en pense :

Townes Van Zandt, comme on dit, c’est un client. Pour les uns, un vrai taré. Pour les autres, juste un mec malade. Il suffit de regarder les images d’archives pour se rendre compte que quelque chose clochait (notamment celles où, en bon Texan, Stetson sur la tête, il fait le con avec une carabine chargée, une cannette de coca et une bouteille de bourbon à la main, avant de ranger maladroitement le fusil…dans son futal. A ce moment là, sa copine devient blême, on se dit que c’est pas possible, il va s’exploser les testicules par mégarde…mais non, tout finit bien….).

Van Zandt aimait la musique, picoler, jouer de la guitare, picoler, et composer. Et puis c’est tout. Le reste était sans importance. Ayant vu Presley au Ed Sullivan Show, et se disant que ce type avait tout, juste en étant chanteur, il avait demandé à son père de lui acheter une guitare. Il avait aussi surement écouté Dylan et les Bluesmen du Delta, bagage suffisant selon lui pour faire chanteur dans les bars du coin. Et c’est ce qu’il a fait. Le chanteur Folk à l’état de nature, véritablement. Neil Young sans l’ambition, sans les maisons de disques.

Heureusement pour nous, un confrère musicien (Mickey Newbury) le verra sur scène à Houston en 68 et se dira que ce n’est pas possible, un type comme ça ne peut pas rester inconnu, et lui obtiendra un contrat à Nashville pour l’enregistrement d’un album (« For The Sake Of The Song »).

« Our Mother The Mountain » est sont deuxième disque, en partie composé de morceaux figurants sur le précèdent, dont l’auteur était mécontent du rendu. Effectivement, même tout bourré, il avait quand même vu qu’on leur avait appliqué un vernis « Nashville ». Sur ce disque, la production en est débarrassée, le résultat étant une collection de morceaux au rendu sonore « à l’os », où demeure la plupart du temps la voix seule du chanteur, des arrangements minimalistes et des compositions d’une beauté édifiante. Toutes vibrantes. La folk-song à l’état pur. Le truc qui fait que les musiciens européens contemplent la musique populaire américaine assis sur leur banc, se demandant comment c’est possible d’écrire un morceau comme « Like A Summer Thursday ».

LADS

Le titre : International Rescue

L’artiste : Swell Maps

Le format : 33T/30 cm

La date de sortie : 1999

Le genre : Je veux faire du bruit

C’est qui ?: Le groupe de Nikki Sudden et Epic Soundtracks

Qui joue dessus ?: Nikki Sudden, Richard Earl, Epic Soundtracks, Jowe Head, David Barrington, John Cockrill

Comment ca sonne ? : Nature

Qualité du pressage :

Bonne.

Alive Records – Pressage original de 1999 – Pressage US

Ce qu’on en pense :

Comme chacun le sait, les Sex Pistols ont entrainé dans leur sillage malfaisant la formation d’une multitude de groupes anglais à la fin des années 70. Montés par des petits gars décomplexés du syndrome du musicien et affranchis de l’ombre écrasante des groupes des années 60, galvanisés tout plein par la formule des Clash : « No Elvis, Beatles or The Rolling Stones ». Autrement dit: même si t’es nul, t’as quand même deux bras – c’est suffisant pour attraper une guitare électrique et mettre l’ampli sur 10 – c’est le geste qui compte – va chier Mick Jagger.

Les vannes étant ouvertes, il y a eu de tout. Des bons (Buzzcocks, Damned), des pénibles (The Clash), des singuliers (The Fall), des terribles (Joy Division), des moyens (The Slits, X-Ray Spec), des gros nazes (Adam and the Ants) et des carrément mauvais.

Au milieu de tout ce fatras « Do It Yourself », il y avait Swell Maps, le groupe de Nikki Sudden et Epic Soundtracks (en fait ils étaient frères et se nommaient respectivement Kevin et Adrian Godfrey, mais à l’époque on aimait bien les pseudos un peu débiles). Bizarrement, ils seront plus connus pour leurs albums solos que pour les deux excellents disques publiés chez Rough Trade avec leur groupe de branleurs. A l’écoute de cette compilation, on se demande encore pourquoi.

Sorti en 1999 par un label américain, cet album rassemble des prises alternatives des premiers singles du groupe. Un truc un peu bizarre, mais qui reflète parfaitement l’affaire. Zéro complexe, aggression auditive, son pourrave, mais sensation maximum. L’expression brutale de la « tabula rasa » de l’époque, le son de la remise à zéro d’une musique rock devenue outrageusement pompeuse. Le plaisir brutal du bruit, celui de la jeunesse anglaise défoncée qui botte le cul de Genesis, l’essence du « Lad ».

Dissonant, malpropre, mais tellement vivant. Il suffit d’écouter le premier titre, « International Rescue » (au titre prémonitoire), pour en être convaincu (en plus d’être scié sur place, même 40 ans après la bataille). Mais comme ces gens sont anglais, ils ne peuvent pas s’empêcher de faire de la musique. Même perdus dans le bruit, les fantômes de Chuck Berry et Buddy Holly sont là. Les principaux intéressés s’en défendraient, bien sur, ça les feraient trop chier de reconnaitre que cette musique est américaine, et que leur boulot à eux c’est de la remettre de temps en temps sur les rails. Pourtant, ils l’ont toujours fait. Ça ne doit pas les déranger tant que ça.

NAPALM

Le titre : At The Royal Albert Hall

L’artiste : Creedence Clearwater Revival

Le format : Des 0 et des 1

La date de sortie : 2022

Le genre : Pas là pour rigoler

C’est qui ?: Le groupe préféré de votre tonton

Qui joue dessus ?: John Fogerty, Stu Cook, Doug Clifford, Tom Fogerty

Comment ca sonne ? : Habité

Qualité du pressage :

On sait pas. Ecouté en numérique.

Ce qu’on en pense :

Alors voilà, c’est comme d’hab’ avec les maisons de disques : le coup des bandes perdues. Égarées par l’ingénieur du son qui était défoncé, paumées pendant un déménagement, à moitié bouffées par le chien du boss de Warner, ou on ne sait quoi. Des excuses dignes d’un entrepreneur dans le bâtiment, c’est dire le niveau de filouterie.

Et devinez quoi? On a retrouvé les bandes! Comment qu’on va pas pouvoir vous fourguer un vieux machin d’un groupe splitté depuis le déluge. Et c’est parti pour la publication d’un live de Creedence Clearwater Revival vieux de plus de 50 ans ! (Bon, c’est vrai que c’est aussi un façon de réparer les publications indignes que le groupe à subi concernant ses enregistrements en public.)

Comme on est curieux, on écoute quand même (sur Itunes, faut pas pousser non plus, considérant qu’on a suffisamment donné d’argent à l’industrie musicale et qu’en plus la pochette est hideuse) et là……………!!! (remplissez les pointillés avec une injonction du capitaine Haddock, celle que vous préférez).

Le concert d’un groupe en apesanteur, entièrement habité par sa musique. On savait déjà que Fogerty chantait bien, et que le groupe était solide musicalement, mais il y avait un truc qui nous avait échappé, et qui n’était pas forcement perceptible sur les enregistrements studio : Doug Clifford le batteur.

Mixé en avant sur ce disque, on percute de plein fouet son immense qualité. Des parties de batterie bien plus subtiles qu’on ne le croyait, tout en délivrant le puissant métronome dont le groupe a besoin. Le jeu d’un gars en route pour le Valhalla des batteurs, prêt à mourir les baguettes à la main. Ce qui permet au groupe de faire peter une version d’anthologie de « Fortunate Son », un vrai truc de furieux qui vous fera oublier la version studio. Dommage que Jean-Philippe Smet ne soit plus là, ça lui aurait surement plu. (On l’imagine écouter ça, en train de faire semblant de remplir sa déclaration d’impôts dans sa propriété de Saint-Barthelemy, et s’exclamant: « Sans dec, Laeticia,  quel batteur ce Jimi Hendrix ! »)

Creedence Clearwater Revival, la vraie musique de Tonton. Le groupe qu’il écoutait quand il en avait marre de ZZ Top. Si vous en avez toujours un, offrez lui ce disque à Noël, vous ferez un heureux. Il vous dira surement : « c’est autre chose que tes merdes de groupes tristes qui crient dans le micro, hein ? ». Magnanime, vous acquiescerez, car rien ne vaut un tonton heureux à Noël.

AU PLUS HAUT DES CIEUX

Le titre : Young Shakespeare

L’artiste : Neil Young

Le format : 33T/30 cm.

La date de sortie : 2021

Le genre : Concert qui tue

C’est qui ?: Un mec grognon

Qui joue dessus ?: Neil Young et sa D-45

Comment ca sonne ? : Acoustique

Qualité du pressage :

Excellente.

Reprise Records – Pressage original de 2021 – Pressage EU

Ce qu’on en pense :

Neil Young n’en finit plus de publier ses archives, entreprise qui dure déjà depuis plusieurs années et qui peut parfois semer le doute. Comme la sortie de cet enregistrement, capté sur scène seulement 3 jours après celui du « Live At The Massey Hall », pourtant considéré comme un des meilleurs enregistrement du canadien pour cette époque, et qu’on croyait définitif.

Cependant, on peut penser que ce live est encore meilleur. Enregistré le 22 Janvier 1971, au Shakespeare Theatre (d’où le titre – même s’il s’aime bien, le chanteur n’aurait quand même pas osé) à Stratford, Connecticut. La forme est identique: Young tout seul sur scène avec sa guitare et son gros tirant, parfois au piano, et systématiquement dans la stratosphère.

C’est pas dur, on dirait qu’il marche sur l’eau. Chantant comme un dieu, de sa voix toute bizarre qui peut en énerver certains, le hippie déguisé en bucheron version jésus-christ déroule une suite de morceaux dont la qualité d’écriture est ahurissante.

Un répertoire à tomber par terre, avec des morceaux que le public connaît (ceux où il applaudit dès l’intro) et d’autres, alors inconnus et interprétés pour la première fois sur scène (ceux où le public ne réagit pas – on imagine qu’il est médusé) et qui figureront sur « Harvest », l’album de la gloire interplanétaire qui ne sortira que l’année suivante.

Que des tueries : une version magique d’ «Old Man », une version terrible de « The Man Needs A Maid » sans les arrangements discutables de la version studio, avec au milieu une partie d’ « Heart Of Gold » en prime, une version de la mort de « The Needle And The Damage Done », etc…Le public ne mesure surement pas sur l’instant le bol qu’il a. D’ailleurs sur la face B, on l’entend moins, la moitié ayant du s’évanouir après avoir entendue une interprétation d’ «Helpless » belle comme une cariatide.

La prise de son étant excellentissime, on peut essayer de s’y croire, en fermant les yeux, comme si l’américo-canadien était dans notre salon. Cela marche plutôt bien. Par contre gardez les yeux fermés, en les rouvrant rien n’aura changé, on n’est pas dans Cendrillon.

RÉPONSE DE NORMAND

Le titre : Euthanasie

L’artiste : Les Olivensteins

Le format : 45T/17,5 cm.

La date de sortie : 1979

Le genre : Painque

C’est qui ?: Un groupe de Rouen

Qui joue dessus ?: Gilles Tandy, Vincent Denis, Ludovic Groslier, Romain Denis

Comment ca sonne ? : Français

Qualité du pressage :

Bonne.

Smap Records/Donnez moi des watts – Réedition de 2019 – Pressage FR

Ce qu’on en pense :

Avec son coté « Internationale Situationniste », le Punk a eu une résonance particulière en France, pays moyennement doué pour le rock’n’roll, mais où les idées et la littérature importent autant que les résultats sportifs, même si ce n’était pas franchement évident de comprendre ce que voulait dire Guy Debord. On ne sait pas si vous avez essayé, mais lire « La société du spectacle », c’est une vraie tannée. Au bout de cent pages on arrête, en se disant que de toute façon l’intitulé de l’ouvrage est explicite en soi, pas la peine d’aller plus loin. Suffisait de lire le titre.

Pour les petits français voulant faire groupe de rock, entreprise périlleuse depuis que le genre existe, c’était l’occasion d’essayer de participer au mouvement sans passer pour des nazes. Musicalement, les compétences requises étaient abordables et comme le blues était absent du truc, certains français se sont dit…allez on essaye. Et certains y parviendront presque, comme les Olivensteins, qui ne publieront pourtant que ce single. Ce qui en soi est plutôt punk.

Sorti en 1979, trois titres au programme: « Euthanasie », « Fier de ne rien faire » et « Je suis négatif ». Au moins c’est clair, la France de Giscard d’Estaing, on s’en fout. Musicalement, on dirait un peu les Buzzcocks, sans l’aisance mélodique, sans les riffs, sans Pete Shelley, sans Steve Diggle (bon allez on arrête). Reste le truc Punk, ce qui est quand même le sujet : je chante mal, je viens juste d’apprendre à jouer de la guitare et je ne suis pas content parce que je trouve le monde tout pourri. Et cela fonctionne presque, surtout sur le premier titre de la face-B « Je suis fier de ne rien faire », peut être un des meilleurs morceaux jamais produit par un groupe de rock Français, oxymore dont on vous laisse juge de la fatalité.

HONORER LES ANCIENS

Le titre : Celebrate Your Mother

L’artiste : The Eighties Matchbox B-Line Disaster

Le format : 45T/17,5 cm.

La date de sortie : 2002

Le genre : Ne convient pas aux enfants de moins de 36 mois

C’est qui ?: Un groupe de sauvages

Qui joue dessus ?: Guy McKnight, Andy Huxley, Marc Norris, Symren Gharial, Tom Diamantopoulo

Comment ca sonne ? : Furieusement obscène

Qualité du pressage :

Bonne.

No Death Records – Pressage original de 2002 – Pressage EU

Ce qu’on en pense :

Au début des années 2000, il s’est passé un truc que la presse a qualifié de « retour du rock ». En fait il s’agissait de gamins ayant formé des groupes du genre « rock », de la manière la plus simple qui soit, avec l’envie d’en finir avec les cochonneries des années 90 comme la techno, le trip-hop, Björk ou Radiohead. Envie d’en finir, peut être pas, mais envie de jouer de la guitare électrique, oui.

En vrac, avec plein d’exagérations :

The White Stripes : je refais Led Zeppelin et je rajoute …euh, voyons voir, …le blues du Delta et l’esthétique du Constructivisme Russe, ça craint pas ?

The Libertines : je refais les Clash et je rajoute…euh…rien, mais par contre je promets d’être ultra défoncé et de me conduire comme un voyou comme à l’époque, ça ira ?

The Strokes : je refais Television, The Modern Lovers et les Smiths et je rajoute…euh…des Converse ? Non parce que mon père y connaît le patron de Converse et qu’on pourrait les avoir gratos et comme ça on passerait pas pour les gros bourges qu’on est.

The Black Keys : je refais les bluesmen du catalogue Fat Possum et je rajoute…un son roots un peu pourrave, sinon ça va se voir qu’on est blancs, c’est bon ? Pas sur que ça marche mais bon…

The Kills : je refais Suicide en rajoutant…euh…un jeu de guitare d’enfer et je remplace Alan Vega par une fille, ça devrait aller.

Que des groupes en « The ». Que des groupes qui « refaisaient », mais on en avait tellement marre de Gorillaz qu’on était quand même un peu content. De plus les disques étaient bons, et de toute façon la redite étant une constante de ce genre musical, on s’en foutait, pourvu que Thom Yorke foute la paix.

Digression :

Ça c’est la version couramment admise. Mais il y a pourtant un groupe qui, dans les années 90, à perpétré la forme de rock’n’roll qu’on aime, celle qui a un goût et une saveur : The Jon Spencer Blues Explosion. Comme on le dit dans les westerns, Jon Spencer « a gardé le fort », pendant que Radiohead réintroduisait une dimension « intellectuelle » dans une musique pourtant faite pour les débiles. Personne ne lui en tiendra jamais crédit, et aucun des groupes cités plus haut n’en fera mention lorsqu’ils seront sur le devant de la scène. Pas un n’arrive à la cheville du groupe new-yorkais, tout sucrés qu’ils sont, mais bon, c’est comme ça, il y en à qui trouvent que le Babybel c’est aussi bon que le Saint-Nectaire. On ne sait pas quoi leur dire…

Mais parmi ces groupes, un peu gentillets sur les bords, pas un pour « refaire » les Stooges, Sonic’s Rendez Vous Band ou le MC5. La trouille ? Peut être. Sauf un, The Eighties Matchbox B-Line Disaster, un groupe de Brighton. Des vrais sauvages, façon Attila, et qui débute sa carrière en sortant ce single en 2002, après lequel l’herbe eu effectivement un peu de mal à repousser. Un vrai groupe de l’outrance, comme Iggy Pop, comme Alan Vega. Avec l’agression sonore comme premier argument et l’énormité du propos en second.

Au vu du titre du morceau, on sent venir le truc chelou, et à l’écoute, on ne rêve pas, c’est bien l’histoire d’un type qui décrit une famille incestueuse et qui veut s’immiscer dans leurs histoires de fesses illicites. Le genre de propos qui ne passent nulle part ailleurs, sauf quand il s’agit de rock’n’roll, où provoquer la colère de dieu est un sport en soi. Comme si l’impact électrisant de la musique permettait finalement de regarder au fond de l’abîme, pour de rire, désamorçant l’ensemble sachant que tout cela n’est pas sérieux. La distanciation par le volume sonore, son impact et sa grossièreté. Ce qui permet au chanteur d’hurler « I want to fuck your mother / It’s a dirty job, but someone’s got to do it well / But please don’t tell your father / ‘Cause I’ll fuck him as well » avant de tout exploser dans vos enceintes sur la fin du morceau, toutes guitares en avant. L’enfer de Dante, 45 fois par minutes.

Imaginez les mêmes propos couiné en sourdine par un Jeff Buckley grattant un p’tit arpège sur sa Telecaster pour la forme. Tout le monde se foutrait de sa gueule. Et encore, même pas sûr, rapport au Babybel cité précédemment. Alors qu’au milieu du tonnerre électrique, expression transgressive en soi, puisque tentative consentie par l’audience d’avoir le cerveau consumé par les décibels, ça marche.

Pourvu qu’on sache s’en servir, la guitare électrique et le volume sonore permettent tout. Et de toute façon, au milieu du fracas électrique terminal provoqué par six cordes en fusion, qui écoute le texte? Le retour du rock en 2000, c’était eux, ne serait-ce que pour ce titre. Un single  foudroyant, que vous pouvez ranger tranquille à coté de « Search & Destroy », « City Slang » ou « Pretty Vacant » sans faire tâche.

GROSSE BITURE

Le titre : Lawless (Original Motion Picture Soundtrack)

L’artiste : Nick Cave & Warren Ellis

Le format : 33T/30 cm.

La date de sortie : 2012

Le genre : 70°, sans sucres ajoutés

C’est qui ?: Nick Cave et le remplaçant de Blixa Bargeld

Qui joue dessus ?: Nick Cave, Warren Ellis, Mark Lanegan, Emmylou Harris, Willie Nelson, Ralph Stanley.

Comment ca sonne ? : Frelaté

Qualité du pressage :

Bof. Pressage avec des défauts. Mais il y a un livret avec des super photos.

Music On Vinyl / Sony – Pressage original de 2012 – Pressage EU

Ce qu’on en pense :

Les musiques de films, on se demande encore à quoi ça sert.

Autrefois, cela permettait à l’industrie musicale de vous fourguer un truc en plus, comme si elle n’en avait pas assez. A l’époque c’était une véritable industrie, pas un espèce de machin qui essaie de raccrocher les wagons depuis que la musique est dématérialisée, se demandant encore comment tout cela a bien pu lui arriver. Bien fait pour sa gueule. Merci Steve Jobs. Ou pas. Enfin bon, c’est plié de toute façon.

Et vas-y que je te publie les B.O. toutes pourries des nanars d’Elvis, ou le disque des Bee Gees avec Travolta en habit de lumière, dansant jusqu’au bout de l’ennui pour « rester vivant, rester vivant, a-ya-ya-ya, rester vivant » (désolé…), ou Simon & Garfunkel bavant sur Mme Robinson, qui n’avait pas besoin que deux minets lui fasse la morale (« And here’s to you Mrs Robinson / Jesus loves you more than you will know », sans dec pour qui y se prend Paul Simon ?). Exception : les Beatles avec « A Hard Day’s Night » et « Help ! », mais bon, là, c’était plutôt l’inverse, c’était le film le produit dérivé. Et puis les Beatles, c’est les Beatles, le premier qui l’ouvre, …crouiiiiicc…perte du signal…Cognacq-Jay ?….à vous les studios.

Et encore, on parle là de B.O. constituées de chansons. Pas de disques composés d’instrumentaux qui, amputés des images, n’ont pas vraiment d’intérêt. Dans ce genre, même les meilleures – « Le Parrain » (That was you Fredo ! You broke my heart – YOU BROKE MY HEART ! –  Ouais en fait, c’est dans le Parrain II mais on peut pas s’empêcher), « Il était une fois dans l’Ouest » (Ouain Ouain Ouain Ouain Ouain Ouain Ouain Ouain Ouaiiiiiin) ou « Der Himmel Über Berlin » (Désolé encore, mais le titre français on le trouve trop naze) – supportent peu l’écoute en tant que telles, tranquillou dans son salon. On s’ennuie avant la fin de la première face et on à juste envie de remettre le film. (On aime bien Ry Cooder, mais ses parties de guitare slide on les apprécie encore mieux dans « Paris, Texas »).

Sauf pour cette BO, d’un film plutôt bien mais pas top non plus, réalisé par le copain de Nick Cave, John Hillcoat, qu’on peut écouter comme un album. Sans se faire chier, ce qui en fait une sorte d’exception. Avec peut être aussi la BO du film des frères Cohen, « O’Brother » excellente également. Bon…du coup, ce n’est plus une exception. On est bien embêté…C’est pas grave, on s’en fout, on n’est pas à une connerie près.

Engagé pour écrire le scénario (en fait l’adaptation d’un roman de Matt Bondurant sur les « Hillbillies Moonshiners » – traduction : des pèquenauds de mauvaise humeur avec un alambic et des flingues), Nick Cave a proposé de prendre également en charge la musique du film. Deux prestations pour le prix d’une. (Ou pas, on n’est pas dans le secret des relations commerciales de la grande saucisse desséchée).

Résultat : une des meilleures bande son jamais enregistrée. Composée en partie de reprises (de haute tenue, c’est rien de le dire) et de compositions de Nick Cave et Warren Ellis interprétées par Emmylou Harris. Allant même jusqu’à convoquer Ralph Stanley, une légende sans âge  du Bluegrass, le genre de gars né un banjo à la main pendant la grande dépression, ou Willie Nelson, punaise, un type qui incarne la country-music à lui tout seul (version outlaw, comme on dit, ce qui veut dire : « j’emmerde les puristes de Nashville »).

Non seulement les compositions de Cave et Ellis sont excellentes (et ne figurent pas sur le récent coffret de face-B, ce qui justifie en soi l’écoute du disque), mais le choix du répertoire des reprises laisse rêveur : Link Wray, John-Lee Hooker, The Velvet Underground, Captain Beefheart, Grandaddy. Pour l’exécution, Cave et Ellis ont monté un faux groupe (The Bootleggers), réussissant même à enrôler Mark Lanegan pour assurer le chant. Et comme il s’agit du Nick Cave d’avant le traumatisme, c’est le gros défouraillage. Notamment sur la reprise de John-Lee Hooker, « Burning Hell », un truc pas possible, où Cave se réserve l’interprétation. A la hauteur de ce qu’il sait faire, n’étant pas donné à tout le monde de reprendre John-Lee Hooker sans passer pour un clown.

Des versions mortelles de « Fire and Brimstone » de Link Wray ou du « White Light / White Heat » du Velvet….le pépé du banjo, 85 balais au compteur, qui reprend Link Wray, Captain Beefheart et Lou Reed (?!?)….Emmylou Harris interprétant un morceau de Grandaddy (à tomber par terre de classitude…). Le tout arrangé de la mort par Warren Ellis pour un résultant stupéfiant. En fait ce n’est pas une BO, c’est un album de reprises, une réinterprétation sauvage de la brutalité inhérente de l’âme américaine. Ce qui en fait un disque unique.

BAL TRAGIQUE

Le titre : Dance Me To The End Of Love

L’artiste : Leonard Cohen

Le format : 45T/17,5 cm.

La date de sortie : 1984

Le genre : Rêve de pierre

C’est qui ?: Le Yoda de Nick Cave

Qui joue dessus ?: Leonard Cohen, Jennifer Warnes, John Crowder, Richard Crooks, Sid McGuinnes, Kenneth Hosek, John Lissauer

Comment ca sonne ? : Désuet

Qualité du pressage :

Bonne.

CBS – Pressage original de 1984 – Pressage HOL

Ce qu’on en pense :

Des Leonard Cohen il y en a deux. Non, en fait pas vraiment, il y en a plutôt trois.

Le premier étant l’écrivain, genre poète, membre des cercles littéraires et intellectuels du Montréal du début des années 60, voulant devenir écrivain, ce qui n’arrivera jamais.

Le deuxième étant le chanteur de « Suzanne », propulsé au rayon pop music à la fin des années 60. Plus vieux que la plupart de ses collègues, il ne comprendra jamais vraiment ce qu’il foutait là. Lui son truc, c’était la poésie, même si pour se faire entendre il avait capté qu’il fallait apprendre la guitare.

Le troisième, c’est le mec à la voix grave, fils de tailleur, en costard super classe, homme de peu de mots et du genre mystique, apparu dans les années 80.

Digression :

Au sujet de cette histoire de costume et de prestance venue d’ailleurs, aussi impressionnante qu’incongrue au rayon pop music, et qu’avait pourtant intégré le chanteur, Cohen aura une réponse splendide et pleine d’humour quand il confiera a Sylvie Simmons, sa biographe: « Ma chère, je suis né en costume ». En rêve, on imagine être à sa place, échangeant avec le chanteur autour d’une tasse de thé et l’entendre nous lâcher « Dear, i was born in a suit » de sa voix grave à la diction parfaite. Oualalalalalala…On en connaît qui tomberaient dans les pommes direct.

Tout ça pour dire qu’en 1984, suite à 5 ans de silence, Leonard Cohen publia l’album « Various Positions », à la facture différente de ses enregistrements précédents. Le disque où la nicotine vient réclamer son tribut et où la voix  du barde sémite commence à glisser vers une sorte de grondement terrible qui ne fera que s’amplifier jusqu’à la fin de sa vie.

Deux chansons seront tirés en single de cet album: « Hallelujah » et « Dance Me To End Of Love ». La première énervant tout le monde depuis que Jeff Buckley l’a couinée en marcel et que n’importe quel débile de la « StarAcademyDanseAvecLesStarsTopChefTheVoiceIntervilles » la reprend pour faire genre, on s’intéressera plutôt à l’autre, « Dance Me To The End Of Love ».

Et là, attention. Il y a de quoi être surpris, et ce dès les deux premières mesures : un truc électronique à deux balles, genre jouet pour enfant calé sur le réglage « Mazurka », immédiatement suivi d’un chœur féminin troublant entonnant une mélodie slave et  invoquant l’histoire européenne. Le Bontempi du ghetto de Varsovie, annonçant direct que malgré l’enrobage trivial, il ne s’agit pas d’une ritournelle d’amour adolescente, ce qu’on comprend tout de suite à l’écoute du premier vers « Dance me to your beauty with a burning violon ». Le tout sur une mélodie dont la douceur contraste avec la pesanteur du propos. Et tout le reste du chant est sur le même ton, « gentle » comme dirait les anglais, mais comme une réponse aux brutes par la noblesse des mots.

Extraits des paroles, dans le désordre :

Dance me through the panic ‘till i’m gathered safely in

Dance me to the children who are asking to be born

Show me what i only know the limits of

Touch me me with your naked hand, touch me wih your glove

Let me feel you moving like they do in Babylon

Etc, etc, on pourrait citer l’intégralité du texte. Des mots simples et précis, un peu comme un joueur d’échecs qui avancerait ses pièces. N’opposez aucune résistance, laissez venir le mat. Et si vous n’êtes pas fracassé par la beauté du texte, vous pourrez même danser, il y a un petit instrumental exprès pour au milieu de la chanson.

Cohen a écrit la chanson de ceux qui dansent sous les bombes, ou qui sortent leur violon dans les wagons à bestiaux en route pour la Pologne et les fours. Danse moi jusqu’à la fin de l’amour – la plus terrible des sentences.